AMARGI !
Anti-tragédie de la dette et de la monnaie
Notre société croule sous les dettes, privées ou
publiques ; chaque individu est hanté par le souci d'accéder à la monnaie, pour
assurer sa subsistance... L'angoisse monétaire pèse ainsi sur la totalité de
nos existences. Que se cache-t-il derrière cette angoisse ? Pourquoi la dette
est-elle devenue ce piège fatal ? Comment reprendre la main sur la création
monétaire ?
La compagnie ADA-Théâtre propose un spectacle épique et
ludique sur la dette et la monnaie : pour enfin lever l'inhibition qui nous
tient médusés devant l'horreur de l'argent.
Ainsi peut-on espérer renouer, sinon avec la
solvabilité, du moins avec l'intelligibilité de ce système moins tragique qu'il
n'en a l'air : car ce que les humains ont fait, ils peuvent le défaire, pour le
faire autrement. Cela suppose un peu d'imagination, le goût de la
transformation, la joie de l'émancipation ; et le plateau de théâtre est fait
pour ça...
AMARGI !
Anti-tragédie de la dette et de la monnaie
Après avoir
exploré notre aliénation dans le salariat, à travers Bienvenue dans l’angle Alpha, il faut pousser plus loin : au
cœur de notre servitude se tient l’argent. La monnaie, la dette (c’est la même
chose) forment cet hameçon par quoi nous sommes suspendus à toutes les misères,
tous les renoncements, tous les esclavages. Notre prochain spectacle a pour
ambition de donner à voir sur le plateau
ce que dette et monnaie veulent dire et nous font faire. Alors que le
peuple grec vient de faire l’objet d’un coup d’état financier, au nom d’une
dette odieuse, illégitime et insoutenable, c’est peu dire que notre
préoccupation est d’actualité.
Il y a là quelque
chose d’obscène (littéralement : ce qui ne doit pas être montré) – et
c’est bien sûr exactement pour ça qu’il faut le mettre en scène. Non pour faire
une conférence savante mais pour donner corps à notre désarroi, et partager
notre aspiration à une réappropriation collective de la question et de ses
réponses possibles. Il faut oser dire de la monnaie : nous n’y comprenons
rien, nous voulons y voir plus clair, pour enfin arbitrer son destin – car le
destin de la monnaie est le nôtre exactement. Il faut oser lever l’inhibition
qui nous tient médusés devant les lois de l’argent ; il faut donner forme
et figure à ces abstractions qui capturent nos vies concrètes.
Récit dramatique
Le spectacle part
de cette question toute simple : comment ça va, avec l'argent ? Question
indiscrète à laquelle nul n'a vraiment envie de répondre - tout de suite le
sentiment de l'obscène vient plonger chacun dans un déni mi-courtois
mi-coupable. Alors un personnage se dévoue : l'Endettée, qui évoque
sommairement sa propre situation, le crédit immobilier qu'elle a dû solliciter
pour pouvoir garder son logement. Et la voilà embarquée dans la spirale
infernale de la dette et de son explication par la création monétaire : un
manège se déploie autour d'elle, qui tient du cirque ou du grand Huit, qui lui
fait apparaître les mécanismes insensés qui président à notre système
monétaire. L'acte I consiste dans
cette aventure étrange, ludique et didactique, au cœur de la fabrique de la
monnaie par l'emprunt auprès des banques privées. Et bientôt une nouvelle
obscénité se fait jour : celle de notre politique monétaire, absurde, cynique
et funeste, vouée à siphonner les ressources de la planète comme celles des
ménages. On est passé de l'étonnement à la nausée, sinon l'angoisse, devant ce
précipice vers lequel toute la société court aveuglément. Comment a-t-on pu en
arriver là ?
L'acte II
entreprend d'aller parcourir l'Histoire à la recherche des origines de la dette
et de la monnaie : quelques moments-clé sont incarnés, depuis les monnaies
sociales des sociétés primitives jusqu'aux emprunts russes du début du XXème
siècle, en passant par le capitalisme naissant de la Renaissance italienne et
les assignats de la Révolution Française. L'énigme "Amargi" est
résolue dès l'épisode mésopotamien : on y découvre comment la civilisation
sumérienne avait inventé la monnaie, le crédit, la dette - et son antidote :
"amargi". On saute d'époque en époque en des reconstitutions plus
cocasses que sérieuses, décisives pourtant pour comprendre comme l'étau de
notre politique monétaire s'est formé au fil des siècles.
L'acte III ouvre
une fenêtre vers l'avenir : comment en sortir ? Nous voici propulsés dans une
société future qui a pu échapper à l'étau de la dette et de la rareté
monétaire. Le "salaire à vie" y règne, et quelque chose comme une
douceur de vivre dans un monde qui n'est plus intégralement condamné à la
course au fric à n'importe quel prix... Une utopie ? Pas forcément ; cet
avenir-là n'est pas sans déconvenues, et il n'est proposé qu'à titre
d'hypothèse : il faut encore le faire advenir, ce qui suppose bien des combats
qu'il faut livrer avec notre présent. Si l'on trouve la force d'y faire face -
et le spectacle espère y contribuer - alors... ça ira, ça ira !
Scénographie : la sphère et le cercle (de la dette).
Faire face à notre
politique monétaire suppose donc de donner forme et figure à ces abstractions -
la monnaie, la dette - qui capturent nos vies concrètes. Forme et figure ça
veut dire que sur le plateau on joue, concrètement, à des jeux, de balles et de cerceaux : la sphère
est le signe géométrique de ce spectacle permettant de faire
« descendre » la théorie dans la matérialité du plateau. L’idée est
de proposer une sorte de poème concret offrant comme une anamorphose, sensible
et bouffonne, des principes monétaires. Se déploiera donc en scène une
prolifération drolatique de cerceaux et de boules de plastique. La dette, ce
cercle infernal, est figurée par des cerceaux de hula hoop – de ceux dans
lesquels il faut s’agiter sans cesse, piégé dans leur périmètre, pour les
maintenir en apesanteur. A mesure que s’expose la mécanique de la création
monétaire, les cerceaux se multiplient, se superposent. Ils forment des pièges
circulaires et accueillent des centaines de balles de piscine ; les
piscines à balles sont, initialement, ces bassins remplis de boules de
plastique où les enfants adorent plonger et se vautrer : équipant les
zones commerciales qui cherchent par là à séduire et occuper les enfants
pendant que leurs parents se livrent à leur activité consumériste, elles sont
le signe ludique de la consommation de masse, de sa frénésie prétendument
jubilatoire. Elles évoquent aussi l’élément liquide, puisqu’elles sont censées
transposer l’expérience de la piscine dans les formes solides du plastique, et
permettent ainsi de figurer la liquidité constitutive du principe
monétaire : les balles, comme la monnaie, circulent à toute allure, se
déplacent de main en main, quand elles ne roulent pas au sol de cerceau en
cerceau, d’où elles s’échappent et prolifèrent, inondant bientôt la scène –
comme notre vie est intégralement envahie par la préoccupation de l’argent. Et
bien sûr, comme dans toute piscine : on peut se noyer, piégé dans trop de
cercles de dettes, intégralement immergé dans ce tombereau de balles.
Au cœur du
dispositif scénographique, cet autre élément : l’ardoise, comme matière.
Un coffre peint en couleur ardoise, qui peut évoquer le coffre à jouet des
enfants, contient la plupart des éléments de jeu qui apparaissent au fil du
spectacle. Il permet de figurer la banque, puis la Banque Centrale, institution
de légitimation de la création monétaire, et reçoit les inscriptions à la craie
des crédits consentis qui sont autant de dettes. Avoir une
« ardoise », c’est être débiteur bien sûr, et l’une des questions qui
se pose est de savoir dans quelle mesure, dans notre société hantée par la
dette comme par le péché originel, une ardoise, « ça s’efface »… Sur
le plateau, il suffit d’une éponge. Dans nos vies de débiteurs, c’est plus
compliqué.
Enjeu dramaturgique : dédramatiser.
Une ardoise, ça
s’efface ? La certitude où nous sommes aujourd’hui, où sont en tout cas
les gouvernements européens contemporains, est qu’il faut payer,
impérativement, à n’importe quel prix (humain, social). Or il n’en a pas
toujours été ainsi… C'est tout l'intérêt de l'épisode "Amargi" de
montrer que d'autres approches de la dette ont été expérimentées, avec succès :
« amargi » est le mot sumérien qui voulait dire « Liberté »
en Mésopotamie, trois mille ans avant notre ère. Il était gravé sur des tables
d’argile à chaque fois qu’un roi prononçait un décret de
« libération » : libération de tous les asservis pour dette, et
retour chez leur mère des enfants de débiteurs tenus en gages chez leurs
créanciers. Il signifiait l’annulation de toutes les dettes, retour à la case
départ, ardoises à zéro ; c’était un rituel fréquent, auquel le pouvoir se
livrait chaque fois que l’ordre social était trop gravement menacé par les
crises de la dette, vieilles comme la monnaie. Contrairement à ce que nous
suggère la doxa contemporaine, ni la
dette ni le "péché" n’étaient inéluctables. Ainsi percevons-nous
mieux le caractère arbitraire et conjoncturel des règles monétaires qu'on veut
nous imposer comme des lois naturelles : il importe de saisir ces principes
dans leur trivialité, pour mesurer enfin que la monnaie n'est rien d'autre
qu'une convention - un jeu de société, dont on pourrait
tout aussi bien réécrire les règles.
D’où l’importance
d’une scénographie ludique, mobilisant l'univers des jouets pour enfants. Sur
le plateau, les acteurs font l'expérience du jeu, de la manipulation, de la
transformation, par quoi l'on voit que la monnaie n'est pas une transcendance
qui nous échoit inexorablement, mais une forme façonnée par quelques uns, et
subie par la collectivité. Elle apparaît dans son caractère relatif,
transitoire, et comme telle, susceptible d'être refaçonnée. Le spectacle se
donne ainsi paradoxalement pour projet de « dédramatiser » l’empire
de la monnaie. C’est un paradoxe puisqu’en portant ses lois sur un plateau
théâtral, nous faisons plutôt un travail de « dramatisation » de la
monnaie ; mais ce que nous entendons défaire, c’est le tragique : en
matière de monnaie, il n’y a pas de fatalité. Les formes que nous lui connaissons sont le produit de l’histoire et de la
politique, et ce que l’humain a fait, il peut le défaire. Il n’y a nul fatum monétaire : il n’y a que des
politiques monétaires, il faut donc le savoir, et puis les refaire – après les
avoir défaites.
Du théâtre "politique"
Notre démarche,
consistant à proposer un théâtre soucieux de penser le monde contemporain avec
exigence et passion, a parfaitement rencontré les dispositions de Yann Reuzeau,
le directeur de la Manufacture des Abbesses, également metteur en scène et
auteur de la très remarquable fresque théâtrale Naissance d’une nation. Il allait de soi, pour lui comme pour nous,
que la prochaine création ADA verrait le jour sur le plateau de la Manufacture
des Abbesses, notre démarche et la sienne s’articulant autour de la recherche
d’un « théâtre politique ».
« Politique », dans le sens où il s’agit de travailler sur les
structures de notre monde
contemporain, dans une quête d’émancipation qui ne se contente pas de slogans
réducteurs ou de jérémiades contre-productives. Le plateau est pour nous le
lieu de la « réflexion » du monde, non pas seulement comme miroir
mais comme dispositif permettant sa pensée ; un espace d’expérimentation
qui permet de se réapproprier nos formes de vie en les refigurant.
AMARGI ! Anti-tragédie de la dette et de la monnaie
Texte et mise en scène : Judith Bernard.
Sources : Le spectacle
est écrit à partir d’une copieuse documentation parmi laquelle figurent en
bonne place : Dette, cinq mille ans
d’histoire (David Graeber), La Malfaçon
(Frédéric Lordon), La Monnaie entre
violence et confiance (André Orléan et Michel Aglietta), Emanciper le travail (Bernard Friot).
Sylvain Leder, professeur agrégé de Sciences Economique et Sociales, est notre
conseiller scientifique ; il a élaboré le support pédagogique qui accompagne le
spectacle, à destination des enseignants de SES susceptibles de l'utiliser dans
le cadre de sorties scolaires avec leurs élèves de Première et de Terminale.
Avec :
Judith Bernard
Gilbert Edelin /
David Nazarenko (en alternance)
Benjamin Gasquet
Antoine Jouanolou
Toufan Manoutcheri
Et
Frédéric Harranger aux percussions.
Création Lumière : Rachel Dufly
Assistante de production : Louna Coleuille
Durée du spectacle : 1h30
Compagnie ADA-Théâtre : http://ada-theatre.blogspot.fr
Direction : Judith Bernard
78, rue René Boulanger -75010 PARIS
Contact : ada-theatre@orange.fr
Réservations : resa@manufacturedesabbesses.com
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