Le 18ème du mois - Sandra Mignot - Novembre 2021
L'Humanité - Gérald Rossi - 26/10/2020
Théâtre. Le Saccage de beaucoup d’idées neuves
Judith Bernard pose des ponts entre la fac de Vincennes rasée en 1980 et les zadistes d’aujourd’hui.
Faut-il choisir entre théâtre documentaire, fresque d’histoire contemporaine, ou réquisitoire contre l’ordre établi ? Dans cette nouvelle pièce qu’elle a écrite et mise en scène, Judith Bernard, ne le précise pas franchement. C’est « un spectacle sur la politique du saccage qui frappe les enclaves où se déploient des formes de vie alternatives », dit-elle. Elle propose deux points d’ancrage, qui du début à la fin vont se chevaucher, avec d’une part l’éphémère Centre universitaire expérimental de Vincennes, créé dans la foulée de mai 1968 puis transféré en 1980 à Saint-Denis (rasé sur décision de Jacques Chirac, alors maire de Paris). De l’autre, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, sans oublier quelques incursions dans les luttes « des combattants kurdes (Rojava) », la « barbarie de Daech » qui n’est pas loin, et les « gilets jaunes ».
Pour le moins l’aventure est foisonnante. La fac installée dans le bois de Vincennes, seule université plus ou moins autogérée, ouverte aux non-bacheliers, est un lieu de confrontation permanente entre les multiples partis, mouvements et groupuscules de gauche, qui n’hésitent pas à user de ruses, de subterfuges et de leurs poings pour imposer un point de vue. À Notre-Dame-des-Landes, le contexte est différent, car les zadistes défendent un idéal sans nouvel aéroport, alors que le gouvernement use de la force de ses gendarmes et autres CRS pour tenter, sans succès, de se faire entendre. Dans les deux cas, Saccage le démontre, les idées, les projets pour un autre monde sont matraqués par un État dominant et servant zélé du capitalisme.
Sur le plateau, accueillant d’un côté la fac et de l’autre la ZAD, les comédiens de la compagnie ADA, qui se revendique « sensible à la violence du monde contemporain », sont tour à tour militants zadistes et étudiants. Un soir sur deux l’équipe change, et une partie du spectacle aussi. Le psychanalyste Jacques Lacan alterne avec le philosophe Michel Foucault. La première équipe, composée de Judith Bernard, Caroline Gay, David Nazarenko et Jean Vocat alterne donc avec Pauline Christophe, Antoine Jouanolou, Marc Le Gall, et toujours Caroline Gay. Lacan est allé donner une conférence. Foucault a eu en charge le département de philo. De fait, les deux spectacles ne peuvent être identiques. Et ce patchwork généreux n’en est que plus étonnant.
Holybuzz - Pierre François - 20/10/2020
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Une leçon.
Dire de « Saccage » que c’est une pièce captivante est vrai. Et faux : c’est un monument. De ceux qui vous laissent aussi étourdi qu’émerveillé une fois la visite achevée. Car « Saccage » est ce qu’on appelle du théâtre politique documenté. Qui a su éviter l’écueil de la pédagogie ennuyeuse alors pourtant qu’on y décèle une ou deux longueurs. En effet, si pédagogie et documentation il y a, c’est toujours sous l’angle le plus vivant, le plus comique aussi. Ce n’est pas parce que l’on sent une discrète sympathie pour la façon dont les marginaux font évoluer la société que ces personnes sont idéalisées. Au contraire, la pièce ne cesse de montrer leurs failles, leurs contradictions, leurs tics dogmatiques et leurs tocs organisationnels. Et nous d’en rire, sans se rendre compte qu’à travers ce spectacle c’est toute une théorie de la valeur de l’expérience marginale et de l’impossibilité pour tout pouvoir d’envisager que quelque chose puisse émerger en dehors de son moule qui nous est servie. Convaincante d’ailleurs : qu’il s’agisse de la fac de Vincennes ou de Notre-Dame des Landes, force est de constater qu’il n’en reste pas pierre sur pierre. Force est aussi de constater qu’à l’étranger tout a été fait pour rendre inaudibles des expériences comme celles du Rojava ou du Chiapas.
La pièce montre la vie des activistes et comment leurs divisions – partie intégrante de leurs expériences puisqu’elles ont pour point commun l’admission des différences en vue de les surmonter – causent leur mort aussi certainement que l’utilisation d’un arsenal juridique et médiatique par les gouvernements.
La troupe manie l’art dramatique, qu’il s’agisse du jeu, du son ou du choix des accessoires, avec un art consommé. Tout ou presque est symbole. Certes, certains sont d’une évidence relative (l’écran-lune, par exemple), mais tous sont logiques entre eux, même les plus discrets (la présence plusieurs fois évoquée des oiseaux). Et, même si on a déjà mentionné la force comique de ce spectacle, il convient de signaler le morceau de bravoure que constitue l’unique cours – très chahuté – de Lacan à Vincennes. On en redemanderait presque tant le jeu d’acteur autant que le texte – repris de la transcription de celui prononcé à l’époque – sont irrésistibles de drôlerie et d’authenticité. Le spectacle étant donné par des comédiens en alternance, on peut aussi assister, à condition de revenir et dans un genre complètement différent à un cours de Michel Foucault qui, lui, avait adhéré à l’expérience.
Bref, on tient là une pièce aussi réussie dramatiquement qu’instructive intellectuellement.
La Revue du spectacle - Bruno Fougniès - 20/10/2020
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"Saccage" Le bulldozer pour rétablir l'Ordre !
Survolant cinquante années de résistances citoyennes, "Saccage" est une pièce militante qui raconte, dans un débridement assumé, les luttes contre un pouvoir étatique. Entre victoires et désillusions, le bilan de ces combats civils est à la fois désespéré et revivifiant. Une bonne goulée d'un poison souverain que l'on appelle la liberté citoyenne.
Judith Bernard au texte, à la mise en scène et sur le plateau, prône un théâtre en acte. Elle s'intéresse à l'actualité politique, entre points de vue sociologique et réflexion philosophique. Dans cette pièce, ce sont les enclaves de résistances qu'elle met en scène. Celles qui se sont déroulées en France, mais aussi celles du Chiapas et d'autres moins connues comme l'organisation sociale du Rojave, en pays Kurdes. Mais c'est autour de deux grands événements proches de nous que se concentre le spectacle.
En 1970, après les révoltes de mai 68, l'État français accepte la création de l'Université de Vincennes qui s'installe en quelques mois dans le bois. Celle-ci va regrouper la plupart des intellectuels progressistes de l'époque et ouvrir ses bancs, non seulement aux étudiants mais aussi aux travailleurs. Des libertés jamais connues dans l'enseignement supérieur se développent alors : études politiques, philosophiques et artistiques foisonnent. Mais aussi une forme d'organisation collective inédite.
Dans les années 2010, l'État décide la construction d'un aéroport géant à Notre-Dame-des-Landes. Commence alors une résistance des habitants, fermiers pour la plupart qui seront bientôt rejoints par des militants de tous bords, écologistes ou autres. Cette mobilisation formera ce qu'on appelle une ZAD (Zone à Défendre) très créative. En quelques années, les zadistes vont développer une véritable organisation sociale, non commerciale et respectueuse de l'environnement, avec le but d'une vie en autarcie plus juste, plus égalitaire.
Bref, des bandes de gauchistes. C'est avec cette appellation qui fait peur aux bourgeois que ces expériences inventives vont être vilipendées par des campagnes de presse au service du pouvoir. L'université Paris-Vincennes subira les foudres d'une campagne bien pensante avant d'être "délocalisée" à Saint-Denis à la fin des années soixante-dix, perdant au passage toutes ses vertus, toutes ses exceptions et la moitié de ses étudiants ainsi que quasiment tous ses enseignants connus. Quant aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes, à l'abandon du projet d'aéroport en 2018, ils continueront à se retrouver confrontés aux forces de l'ordre et à une volonté de mettre fin à l'expérience.
"Saccage", c'est la méthode employée dans ces deux cas particuliers par les gouvernements : en une nuit, l'université de Vincennes est détruite par des bulldozers protégés par la police tandis que dans la ZAD, les cabanes, les constructions, les plantations sont saccagées par les mêmes bulls.
Ce sont tous ces événements et bien d'autres que la pièce raconte dans une construction faite de sauts énergiques d'un lieu à l'autre. Les quatre comédiens incarnent tous les rôles nécessaires à cette narration, jouant les différents protagonistes de ces révoltes. Une disposition scénique simple emporte le propos d'une époque à l'autre avec quelques accessoires et costumes.
Ce qui est mis en avant, ce sont justement ces personnages, leurs quêtes de vérité, de liberté, de sociabilité, de justice. Se retrouvent, dans ces luttes, des intellectuels, des paysans, des écolos, des gens simples ou compliqués, un véritable microcosme social, complet. Une société en phase de re-création comme c'est encore le cas à Notre-Dame-des-Landes pour certains d'entre eux malgré les pressions incroyables du pouvoir pour faire rentrer tout le monde dans le rang et saccager leurs œuvres.
C'est un spectacle bienfaisant dynamisé par l'énergie et l'implication de tous les interprètes. Le côté instructif prend parfois le pas sur le jeu : le sujet lui-même, tendant à faire déferler les mots, quitte à noyer un peu le spectateur dans cet afflux de dialogues et d'apostrophes. Mais on comprend que c'est l'envie de tout dire, une envie impossible à rassasier, qui fait ainsi déborder le verbe. Mais pour un tel témoignage d'autres possibles fonctionnements sociaux, trop vaut sans doute mieux que pas assez.
La Croix - Paul Ricaud - 19/10/2020
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Au théâtre, « Saccage » redonne chair aux luttes politiques et utopistes
Dans sa dernière création engagée, l’autrice Judith Bernard revient sur quelques expérimentations politiques, depuis les facs de l’après Mai 68 jusqu’à la rébellion kurde au Rojava. En mettant en scène les débats et interrogations de militants, la pièce fait du théâtre le lieu de la discussion politique et philosophique.
Alors qu’ils s’organisent pour bâtir une société dont ils rêvent, quatre jeunes personnages se retrouvent en proie à la menace de l’État. Spectre invisible mais menaçant, celui-ci reprend ses droits sur les communautés autonomes en plein développement. C’est ce que l’autrice et metteuse en scène Judith Bernard appelle la « politique du saccage ». Pendant une heure et demie, les protagonistes en proie à cette fin dramatique débattent et se débattent.
Ils changent et reviennent au gré des scènes et des décors successifs. Différentes par leur contexte, les situations ont en commun de chercher des alternatives politiques. En s’appuyant sur l’expérience des mouvements militants et les textes d’intellectuels qui les ont précédés, les utopistes construisent leurs enclaves et leurs propres réflexions sous les yeux des spectateurs.
ZAD, Kurdistan et université de Vincennes
Au total, c’est une trentaine de personnages qu’interprètent les quatre comédiens, en treillis dans le champ de bataille syrien, en vêtements amples sur celui de la ZAD. Il y a l’étudiant situationniste qui rejette tout (Jean Vocat), la combattante kurde qui ne craint ni Daesh ni l’armée turque (Caroline Gay), la zadiste passionnée (Pauline Christophe) et le chauve qui devient, en portant un col roulé et des lunettes, Michel Foucault (David Nazarenko)…
Les discussions se posent d’abord sur un ton plutôt léger, parfois comique. Les occupants de Notre-Dame des Landes organisent leur quotidien et leur résistance, les étudiants de l’université de Vincennes s’écharpent sur des concepts post-soixante-huitards obtus. Pendant les premières scènes, l’urgence est encore lointaine. Puis le rythme s’accélère. Au moyen d’un « arsenal rhétorique, juridique, policier, militaire », l’État anéantit les « espaces de vie » permis par les utopies. Après plus d’une heure de réflexions et de discussions enflammées, elles sont presque toutes réduites à néant.
« Saccage » n’oublie pas, pour autant, d’être une pièce de théâtre populaire et accessible. Le quatrième mur est régulièrement brisé par les comédiens, lorsqu’ils estiment nécessaire de revenir sur le contexte historique et politique d’une situation. Alors que son propos peut paraître parfois pointu, la pièce donne chair aux concepts. Elle montre la réalité concrète que portent, pour la vie de bien des militants, les grands mots sortis de la bouche d’éminents intellectuels politiques.
Blog Théâtre : Théâtre du Blog - Mireille Davidovici - 15/11/2020
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Saccage, texte et mise en scène de Judith Bernard
Quel point commun entre la faculté de Vincennes des années soixante-dix, la Z.A.D. (Zone A Défendre) de Notre-Dame-des-Landes, le lointain Rojava au Kurdistan syrien ou les «cabanes du peuple» des Gilets Jaunes? Au moins un : ces enclaves de résistance et d’invention de nouvelles formes de démocratie, ont résisté face au Pouvoir.
Judith Bernard, universitaire et directrice de la compagnie ADA, poursuit son exploration des problématiques liées à la philosophie politique. Bienvenue dans l’angle Alpha interrogeait notre aliénation au salariat. Avec Saccage, elle parle des expérimentations alternatives, tôt ou tard confrontées à l’État de droit. Faut-il s’opposer, se soumettre ou composer avec un Pouvoir qui n’a de cesse de saboter ces initiatives? Les débats qui agitent de toute communauté rebelle, quand elle doit faire face à une politique de saccage, se prête bien à un traitement théâtral.
Sous la plume de la metteuse en scène, les personnages apparaissent face à leurs contradictions, aux moments-clefs où leur enclave est menacée par l’arsenal juridique et répressif des Politiques. Judith Bernard montre la fragilité de «cette brèche infime dans les ténèbres de la propagande », selon l’expression de Virginie Despentes à propos de Notre-Dame-des Landes. Ici, quatre comédiens pour de nombreux personnages : professeurs et étudiants de Vincennes mettant en place une Université populaire ouverte à tous ; Zadistes de Loire-Atlantique défendant une zone naturelle et une agriculture biologique contre le béton d’un futur aéroport ; Kurdes du Rojava luttant contre Daesh et organisés en confédération démocratique selon les thèses d’Abdullah Öcalan. Le fondateur du P.K.K. (Parti de Travailleurs Kurdes) apparaît brièvement pour expliquer son Manifeste, peu connu, pour un Kurdistan unifié et une démocratie directe, écologique et féministe. «Cela passe par la création d’un « homme nouveau », purgé des vices capitalistes et de la mentalité du colonisateur turc. Le vrai Kurde doit s’inspirer de la pureté d’une paysannerie réinventée… »
D’une séquence à l’autre, les acteurs représentent des figures plus que des individus : Le Cadet, le plus radical du collectif, s’oppose souvent à L’Aîné ayant tendance à composer avec le Pouvoir. La Brune oscille entre deux positions et la Rousse (Judith Bernard ou Pauline Christophe en alternance ) se détache parfois du groupe pour situer ou commenter l’action. Quelques accessoires suffisent à figurer les lieux et les époques : kalachnikov et photos de martyrs nous transportent dans un Kurdistan en guerre ; une paire de lunettes rondes évoque un Jacques Lacan mis en boîte par les gauchistes ; un tipi en filet de camouflage et une banderole :«Nous ne défendons pas la Nature, nous sommes la Nature qui se défend !» et nous voilà dans le bocage. D’une scène à l’autre, on débat, on argumente, on se dispute…
Mais le joyeux désordre à Vincennes ou à Notre-Dame-des-Landes prendra bientôt fin et, dans l’obscurité des intermèdes, on entend les bulldozers à l’œuvre… Judith Bernard analyse les trois phases du saccage: intimidation, destruction puis normalisation : «Le pouvoir a aussitôt regretté la liberté accordée aux Vincennois. Il n’a pas cessé de tenter d’en restreindre la portée. C’était un bras de fer permanent. Et dès l’été 69, le gouvernement a essayé de rétro-pédaler en faisant adopter des décrets scélérats: entre autres celui par lequel le Ministère de l’Education Nationale voulait en empêcher l’accès aux non-bacheliers. »
Ce théâtre politique n’a rien de didactique et, pendant une heure vingt, on a le plaisir de partager les recherches et les propositions de Judith Bernard. Soigneusement écrit et mis et scène, Saccage, malgré un titre un rien défaitiste, est un hommage à celles et à ceux qui, encore et toujours, s’écartent de la norme pour inventer des voies nouvelles. Il faut les suivre…
Mireille Davidovici
Blog Théâtre : De la cour au jardin - Yves Poey - 13/11/2020
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La pièce sera dorénavant jouée les dimanches à 12h15, toujours à la Manufacture des Abbesses.
Je vous rappelle mon papier enthousiaste.
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Aux ZAD, citoyens,
Formez vos bataillons !
Dans certaines enclaves, dans certains territoires, des communautés d'hommes et de femmes, jeunes pour la plupart, des groupes humains se forment pour tenter de résister au Pouvoir en place, à l'Etat de droit.
De la faculté de Vincennes, dans les années 70, (au siècle dernier, donc...), à la ZAD de Notre-Dames-Des-Landes, en passant par le Chiapas, ou encore le Rojava, des « résistants » ont tenté de s'opposer à la main mise des gouvernements en place.
Gouvernements qui immanquablement répondent à ces occupations « sauvages » de terrains, de lieux-clefs par la sempiternelle mécanique du saccage.
C'est justement cette mécanique-là, ce saccage institutionnel, qu'ont entrepris de disséquer à la fois de façon dramaturgique et pédagogique Judith Bernard, auteure de la pièce, et les membres de la compagnie ADA-Théâtre.
Oui, durant une heure et trente minutes, le fond et la forme vont être au rendez-vous pour une démonstration en matière de philosophie politique appliquée : les trois phases de la mécanique du saccage seront lumineusement décrites.
(C'est d'ailleurs le sujet de prédilection de Melle Bernard, que de mettre en scène de vrais sujets sociétaux relevant de philosophie politique, puisque cette pièce forme un triptyque avec deux autres œuvres, à savoir Amargi ! et Bienvenue dans l'angle Alpha.)
Judith Bernard va nous faire naviguer dans le temps et les lieux géographiques, de Vincennes aux environs de Nantes, du temps post-68 à nos jours.
Le propos est de nous rapporter des expériences communes, des formes de « tâtonnements » de la lutte en commun, des tentatives de survie face à l'oppresseur public.
Lutter, certes, mais également proposer des alternatives, des formes d'autogestion ou de fonctionnements politiques différents, qui forcément indisposent nos « élites ».
Nous ne serons jamais perdus, notamment grâce à une lune qui accueille les mentions géographico-temporelles projetées sur elle.
Quatre comédiens incarnent la trentaine de personnages de la pièce.
« La rousse ». « La brune ». « L'aîné ». « Le cadet ».
Quatre entités humaines dont ne connaîtra jamais l'histoire personnelle, quatre hommes et femmes incarnant la force et à la fois la fragilité, la vulnérabilité de l'aventure commune.
Quatre êtres qui vont circuler allègrement d'une époque à l'autre, en enfilant devant nous différents costumes, en utilisant différents accessoires, différents meubles.
Quatre jeunes gens qui vont vite comprendre que rien ne va de soi, parce que la vision de la lutte peut prendre bien des formes.
Incarnant tour à tour les ultras, les modérés, les jusqu'au-boutistes, ceux qui pensent qu'on peut composer avec le pouvoir en place, les doux utopistes, ceux qui sont prêts aux concessions, ceux qui se murent dans le déni ou l'ignorance du problème, ils vont nous démontrer combien est large la sociologie des Zadistes et des militants qui ont choisi autre chose que ce que le Pouvoir veut leur imposer.
Hier soir Judith Bernard, Caroline Gay, Jean Vocat et Marc le Gall étaient ces quatre comédiens. (La distribution varie en fonction des dates de représentation.)
Les quatre vont nous faire admirablement ressentir ce dilemme principal qui se pose à toute communauté bien décidée à en découdre, à lutter pour ne pas accepter ce qu'elle considère comme inacceptable et à proposer un projet politique alternatif.
Le texte de l'auteure est à cet égard passionnant (j'ai révisé un nombre incalculable de faits, de données historiques) et en même temps relève bien du théâtre. Nous ne sommes pas dans un exposé à Sciences-Po, mais bien sur un plateau.
La mécanique dramaturgique fonctionne pleinement, avec beaucoup de finesse, d'humour, et souvent une vraie émotion.
La scène dans laquelle Marc le Gall incarne un certain Jacques Lacan tentant d'expliquer sa vision de la psychanalyse aux étudiants révoltés de Vincennes, cette scène-là est absolument magnifique. La démarche, la façon de boiter, de parler, les tics, tout y est ! Quelle épatante scène de comédie !
Dans une autre distribution, nous confiera Melle Bernard, la scène est remplacée par un cours de Michel Foucaut, incarné cette fois-ci par David Nazarenko.
Bien entendu, nous ne pouvons pas manquer de faire le parallèle avec la très récente actualité, avec les Gilets Jaunes occupant leurs rond-points, au son de la célèbre chanson « On est là, on est là..... »
Une autre réflexion nous est proposée par le biais d'une réplique qui moi m'a fortement interpellé : « Le temps des grèves victorieuses est révolu... ».
Les pouvoirs en place sont-ils vraiment effrayés par les grèves actuelles qui ne débouchent sur rien d'autre que les déambulations sur des parcours parisiens, et ne permettent plus la convergence des luttes ?
C'est l'une des nombreuses questions qui est posée au public.
Je vous conseille donc vivement ce spectacle qui ne manque pas d'interpeller chaque spectateur.
Ces quatre-vingt-dix minutes de théâtre sont plus pédagogiques que trente unités de valeurs en fac. (Unités de valeur imaginées par les occupants de la fac de Vincennes, et qui constituent encore la norme en matière d'évaluation, au passage...)
Voici un moment de théâtre engagé et passionnant, assorti d'une analyse politique d'une rare acuité.
Par les temps qui courent, comme il est bon d'avoir un espace dramaturgique permettant ce moment de recul sur notre histoire très récente ou notre contemporanéité !
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